Appartements trop petits, besoin d’air ou nuits trop chaudes, les raisons de s’approprier les espaces extérieurs en ville sont nombreuses. Prendre le temps de se poser au milieu du flot des passants pressés, dépasser les regards qui rendent invisibles, c’est s’offrir des occasions d’étonnement sans cesse renouvelées. Monter une programmation de films documentaires en plein confinement, de chez soi, c’est se rappeler cette évidence et chercher à retrouver, et partager, les chaudes couleurs humaines de la vie urbaine.
Aller à la rencontre du voisin croisé chaque jour nez en l’air et air occupé au sortir de son immeuble parisien, telle Joséphine Drouin Viallard (L’indien de Guy Môquet). Ou d’enfants de son quartier, à Bruxelles, jouant des maigres interstices de verdure disponibles en milieu urbain pour se raconter ensemble des histoires de brigands (Our City, de Maria Tarantino). Tourner en mobylette dans les rues de Naples avec deux jeunes à l’humeur amusé (Selfie, de Agostino Ferrente). Se poser dans un Community Garden aux multiples vies, niché dans un coin secret de l’Est de Londres, et découvert à l’occasion de l’immuable promenade quotidienne d’une réalisatrice et de son chien (Here for Life, de Andrea Luka Zimmerman et Adrian Jackson).
Il s’agit qu’émergent à l’écran et dans nos vies des « existences non imaginées », comme le nomme James Agee, édifié par ses rencontres en Alabama aux temps de la Grande Dépression (Louons maintenant les grands hommes). Ou parfois, trop souvent, seulement imaginées, pourrions nous compléter.
Car c’est de cela dont il est question dans cette Escale : donner corps à des présences que nous sommes rarement en capacité de voir. Un cinéma du réel intuitif, rendu à sa plus simple expression dans ses intentions par les réalisateurs et les réalisatrices qui s’en emparent : témoigner d’autres vies que les leurs. Il s’agit de composer avec l’outil cinéma une forme ingénieuse pour être parmi les gens qu’ils/elles ont à coeur de connaître, et nous y projeter :
La caméra au plus près et le choix d’une intimité partagée pour Benoît Dervaux et Yasmina Abdellaoui, compagnons d’un voyage tout personnel mené par Gigi, Monica...et Bianca, enfants des rues de Bucarest. Dans une absence de narration apparente, en 16 mm et à distance pour Helen Levitt, Janice Loeb et James Agee 40 ans plus tôt, avec la volonté ferme de retranscrire le plus fidèlement possible la musique urbaine des rues de Harlem dans un film pourtant muet (In the streets). Au travers d’une construction sonore et visuelle maligne, chez Nelson Makengo, par laquelle le spectateur est transporté à Kinshasa, aux côtés des habitants en résistance dans l’obscurité des nuits sans électricité de la cité (Nuit Debout).
Des films parfois joyeux, parfois plus âpres, qui entrent en résonance non pas tant dans les dispositifs déployés, de formes diverses, que dans un talent commun à être pleinement en écoute et nous révéler l’extraordinaire éclat de la cartographie humaine. L’occasion de se laisser surprendre par ce que cette géographie en mouvement nous raconte de nos villes, et de celles et ceux qui les font vivre.
Pauline David
Programmatrice – Festival En ville !